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"JOSEPH GILLAIN, UNE VIE DE BOHÈME" (FRANÇOIS DENEYER)

“JOSEPH GILLAIN, UNE VIE DE BOHEME” (FRANCOIS DENEYER)

 

Lorsque nous parlons de la bande dessinée franco-belge, nous pensons, tout naturellement à « Hergé » (Georges Remi/1907-1983), André Franquin (1924-1997), Albert Uderzo (1927-2000), Edgar P. Jacobs (1904-1987), René Goscinny (1926-1977),« Morris » (Maurice de Bevere/1923-2001), René Goscinny (1926-1977),« Peyo » (Pierre Culliford/1928-1992),…

Fort malheureusement, trop souvent le pseudonyme de cet immense créateur de B.D. qu’était « Jijé », né Joseph Gillain, àGedinne (village des Ardennes belges, proche de la Ville française de Givet), le 13 janvier 1914, et décédéà Versailles, le 19 juin 1980, est oublié, lui qui fut l’un des maîtres à penser des Editions « Dupuis » et de ce que l’on nommait « L’Ecole de Marcinelle ».

Ainsi, le fils de Jean Dupuis (1875-1952/fondateur, en 1922, des « Editions Dupuis »), devenu coéditeur, en 1938, avec son frère Paul (1907-1990), Charles Dupuis (1918-2002), comme cité à la page 383 de ce livre, déclara :« Si  ‘Spirou’ a été un journal à succès, c’est grâce au dynamisme que Joseph a insufflé à ses élèves. Il était d’une générosité fantastique et toujours disponibles pour les jeunes dessinateurs. En plus, son rire était très communicatif, ça a fait beaucoup de bien à tous les auteurs du journal… »           

Autres déclarations importantes, citées en 4è page de couverture :

– « Morris » « J’ai envers lui une dette énorme. Le temps passé dans sa maison m’a apporté plus que je ne l’aurais fait dans n’importe quelle école d’art. » 

–  André Franquin : « Nous devons tous une fière chandelle à Gillain, c’est avec lui que nous avons appris à ne pas avoir peur du papier blanc. »

– « Derib » (Claude de RibaupierreTour-de-Peilz/1944) : « C’est le dessinateur réaliste le plus important de toute l’histoire de la bande dessinée belgo-française. »

– André Juillard (°Paris/1948) : « Joseph avait l’oeil : le moindre détail qui n’allait pas, il le voyait de suite. »

– Jean-Claude Mézières Saint-Mandé/1938) : « Jijé me transportait directement dans cette maîtrise incroyable des ombres et de la lumière. »

– René Goscinny : « Je l’ai connu au milieu d’une bohème invraisemblable ! Les histoires de Gillain, ça remplirait des volumes. »

F. Deneyer, avec « Cirage », à l’époque du « Musée Jijé » qu’il avait créé, à Bruxelles/2003-2005

C’est ce même mot « bohème »cité par René Goscinny, qui a été choisi par l’auteur de cette exceptionnelle biographieFrançois Deneyer (°Bruxelles/1958), le créateurà Bruxelles, du « Musée Jijé » (2003-2005/1.000 m2), beaucoup trop tôt disparu, faute de l’obtention d’indispensables budgets régionaux, qui fut hébergé, sur une superficie bien plus réduite, par la « Maison de la BD » (2006-2015/200 m2), jouxtant la « Gare Centrale », au sein de laquelle  33 expositions consacrées à différents auteurs furent organisées.

Evocation d’un caractère bohème/1948 © J. Gillain/ »Moustique »/François Deneyer 

Mais pourquoi donc l’utilisation du mot « bohème » dans le titre de cet ouvrage ? Dans les dernières lignes sa préface (p. 06), François Deneyer écrit :« … le bonhomme a beaucoup voyagé, il a jalonné son existence de nombreux déplacements et d’autant d’étapes étonnantes et de résidences accueillantes qui marquent ainsi une vie faite d’insouciance et de bonheur brut et sincère. Joseph Gillain n’a jamais ressenti le besoin d’un domicile fixé  une fois pour toutes. Il se sentait bien partout. Sans doute plus à la campagne qu’à la ville. Plus proche de la nature que de l’effervescence citadine.  Gillain aurait pu être ce forain qui se déplace de village en village, montrant ses tours pour émerveiller petits et grands. Vers la fin de sa vie, il revendiquera d’ailleurs d’avoir sans cesse conservé son âme d’enfant et d’avoir fait son travail pour distraire et amuser… »

Illustration inédite pour le « Théâtre du Farfadet »/1942 © « Jijé »/François Deneyer 

C’est« Jijé » qui fut, avant André Franquin, le premier à reprendre la série des « Aventures de Spirou », en 1943, au milieu d’une aventure dessinée et scénarisé par le créateur de ce personnage,« Rob-Vel » (Robert Pierre Velter/1909-1991), créant, en BD, le personnage de « Fantasio« , pour illustrer la couverture du recueil N° 11 du « Journal de Spirou ». C’est en 1947 qu’il céda la suite des« Aventures de Spirou et Fantasio »personnages appartenant aux  éditions « Dupuis », à André Franquin.

Bien loin des « Spirou » de la série contemporaine « Les Spirou de… », forte de 16 volumes, édités de 2006 à 2020, confiés à différents auteurs, lorsqu’il poursuivit le travail de « Rob-Vel »« Jijé » confia dans un entretien, en 1975,  avec Jean-Maurice DehousseJacques Hansenne et André Leborgne (p. 159) : » ‘Spirou’ ne m’a jamais emballé, c’est un héros assez banal. Cette idée d’un héros habillé en groom, c’était périmé dès le départ… parce que le room évoque une certaine époque française,… une certaine situation sociale, le monde des hôtels : un peu ‘Bécassine’ à l’envers. »

Dans le N° 29 de l’hebdomadaire« Petits Belges »,« Jijé », au scénario et aux dessins, créait« Blondin et Cirage »  repris, ensuite, par le« Journal de Spirou »9 albums étant édités, de 1942 à 1954, par« Dupuis », le tome 4 étant   dessiné parVictor Hubinon (1924-1979).

En 1941, sur un scénario de Jean Doisy (Jean-Georges Evrard/1900-1955), « Jijé » créait Jean Valhardi, au sein du N° 40 du « Journal de Spirou », 13 albums ayant été édités, entre 1943 et 1965, par« Dupuis », 10 d’entre eux ayant été dessinés par« Jijé », qui rédigea les scénarios de 3 tomes.

Dans le no 829 du « Journal de Spirou », en 1954,« Jijé » était le créateur de « Jerry Spring », 21 albums étant édités par« Dupuis », de 1955 à 1987, dont il fut l’unique dessinateur, plusieurs scénaristes, dont lui-même, s’étant succédés, un 22è et dernier album ayant été signé par d’autres auteurs

Créée en 1959, dans le « Journal Pilote », par Albert Uderzo, aux dessins, et Jean-Michel Charlier (1924-1969), au  scénario,« Jijé » dessina, entre 1968 et 1982, 14 des 33 tomes de la série « Michel Tanguy », édités, depuis 1961, par« Dargaud », la série étant toujours en cours.

Egalement, il dessina, avec Jean Giraud (1938-2012) 2 des 28 albums (les tomes 2 & 4) de « Blueberry », créé en 1965, par le dessinateur français Jean Giraud et le scénariste liégeois Jean-Michel Charlier, ainsi que, créé par le même scénariste et le dessinateur, né à Angleur, Victor Hubinon (1924-1959), 4 des 35 albums (les tomes 14, 18, 19 & 21) de Barbe Rouge », ces deux séries étant éditées par « Dargaud ».

Aperçu de ses biographies et séries © « Jijé »/Ed. « Dupuis »/François Deneyer 

Et si la diversité des séries ne nous suffit pas pour nous convaincre du talent de Joseph Gillain, nous ne pouvons passer sous silence toutes les biographies en bandes dessinées, dont il fut l’auteur, presque, toutes éditées, à l’origine, par  « Dupuis », certaines ayant été rééditées par d’autres éditeurs, tels « Bédésup », « Fleurus »  ou « Triomphe » :  « Don Bosco » (1942), « Christophe Colomb » (1946), « Emmanuel » (1946), « Baden Powell » (1950), « Blanc  Casque » (1956), « Charles de Foucauld » (1959), « L’Etrange Destin de Bernadette » (1979) et « Sitting Bull » (1982).

Concernant « Don Bosco », B.D. créée en 1942, en noir et blanc, notons que « Jijé » la redessina, en couleurs, en 1949, en changeant quelque peu son graphisme, ce que nous pouvons apprécier, en page 168une même case des deux versions (les cases 53, en 1942, et 64, en 1949) y étant publiée.

« La Prédication de St.-Jean Baptiste aux Habitants de Corbion »/1938 © J. Gillain/F. Deneyer

Cette énumération de titres ne doit constituer qu’une« mise en bouche », nous incitant à en connaître plus sur cet artiste né en Province de Namur,… ce qui explique qu’une intéressante exposition, « Avant Jijé, il y eut Joseph Gillain », lui fut consacrée, en 2010, à la « Tour d’Anhaive », à Jambes-Namur, nous dévoilant les talents de peintre et sculpteur  de Joseph Gillain (le catalogue (« Un Artiste wallon au Service de la Bande dessinée »/ collectif sous la direction de Jacques Toussaint/Ed. « Syndicat d’Initiative de Jambes »« Société Archéologique de Namur »/broché/160 p./25€) est toujours disponible à la « Tour d’Anhaive » et au « Syndicat d’Initiative »  de Jambes-Namur.

Au centre, à droite, son épouse, Annie/1938 © Joseph Gillain/François Deneyer

 

« Le Salon rouge », avec son épouse, Annie © Joseph Gillain/François Deneyer

… Et justement, voici bien le premier intérêt qui nous est offert par ce présent ouvrage, en parcourant les 448 pages de  « Joseph Gillain, une Vie de Bohème », illustré de 333 photosdont celles de 94 peintures92 dessins55 documents53 illustrations, 18 gravures13 sculptures, sans oublier bien sûr sa carrière d’auteur de bandes dessinées, avec la publication de 143 cases57 strips47 planches et 27 couvertures.

Le Mexique inspira « Jijé » dans ses bandes dessinées et peintures © J. Gillain/F. Deneyer

Au delà des biographies et séries BD citéesdans son ouvrageFrançois Deneyer évoque ses nombreuses autres réalisations, comme « Jojo », « Le Mystère de la Clef hindoue », « Trinet et Trinette », « Commissaire Major »,  « Bonus Boy »,… , dessinant même la couverture du 1er des 57 albums de Buck Danny, « Les Japs attaquent »,  édité chez « Dupuis », en 1948, dessiné par Victor Hubinon et scénarisé par Jean-Michel Charlier, cette série étant toujours en cours.

A l’époque de la seconde guerre mondiale, les planches ne parvenant plus des Etats-Unis, il reprit, en Belgique, chez  « Dupuis », les aventures de « Red Ryder », créé par Fred Harman (1902-1982). Plus confidentiel, car non édité en albums, il s’attacha aussi à dessiner « Superman », personnage créé par le dessinateur canadien Joe Shuster (1914-1992) et le scénariste américain Jerry Siegel (1914-1996).

« Jijé » signa, également des publicités (p. 406-407), pour les appareils photos pocket « Kodak », les rasoirs  « Gillette », les auto-radios « Sandor » et une plaquette destinée aux gérants des stations d’essence « Mobil », sans oublier sa collaboration pour l’apprentissage de l’anglais par la B.D.

Un projet resta, malheureusement, sans suite. Georges Dargaud (1911-1990) avait eu l’idée de créer une série B.D.  sur  « les grands classiques du cinéma ». De retour d’un séjour au Québec,« Jijé » se rendit dans l’Etat du Nouveau Mexique, afin de rejoindre l’équipe de tournage de « My Name is Nobody » (« Mon Nom est Personne »/Sergio Leone & Tonino Valerii/USA/1973/116’/avec Henry Fonda & Terence Hill).

Tournage de « Mon Nom est Personne »/J. Gillain au Nouveau-Mexique © « Jijé »/F. Denayer

A cette occasion, « Jijé » déclara :« Si le western est de plus en plus à la mode, c’est parce que les gens manquent de cette vie aventureuse. Les chevaux, la vie en lein air, c’est la dernière aventure des Blancs. Lorsque je suis allé à Acoma, c’était dans une réserve d’Indiens paysans qui pratiquent l’élevage. Ce sont des gens vraiment passionnants parce qu’ils son heureux. Je leur ai d’ailleurs demandé s’ils ne voulaient pas accepter un pauvre Blanc, car je les trouvais très heureux. Ceux que j’ai rencontrés ne sont pas tentés par la richesse, ils vivent en paysans, avec leurs bêtes et leurs moutons, ils prennent du bon temps, ne sont pas mercantiles ; ils sont rêveurs et un peu paresseux. »

Si« Jijé » est comblé de vivre au contact de ces chevaux qu’il apprécie tant dessiner, les 13 planches qu’il dessine, dont 6 seulement ont été retrouvées, restent sans suite, les exigences financières de Sergio Leone (1929-1989) étant hors de prix pour Georges Dargaud. Ce film ne sera donc pas dessiné par Joseph Gillain

Comme « Hergé » et bien d’autres auteurs, il travailla, notamment, sur la base de photographies, nous confiant (p.  217) : « Il est très intéressant de faire des exercices de dessin en utilisant des photos. On découvre des éclairages auxquels on ne pense pas lorsqu’on dessine mémoire. C’est très précieux. Cela vous habitue à donner un relief aux personnages, aux visages, aux mains, aux gestes… »

Concernant l’enseignement artistique, lui qui avait étudié à« La Cambre » (aujourd’hui nommée « École nationale supérieure des Arts visuels »), Joseph Gillain avait un jugement bien tranché (p. 356) : « C’est une anomalie l’école ! L’atelier, ça c’est quelque chose ! Dans les écoles, le plus souvent, on a affaire à des professeurs médiocres qui sont parfois en poste depuis trente ans et qui babotent dans de vieilles ornières. Les élèves perdent leur temps, évidemment ! Et ce qui est terrible, c’est qu’ils ne le savent pas {…} C’est un colossal gaspillage de temps et d’argent. Je crois que ce ne serait même pas une mauvaise chose que de supprimer les académies de dessin. les jeunes reçoivent une bourse pour fréquenter une école de dessin. Il serait bien plus intéressant de leur donner cette bourse et de leur permettre de travailler auprès d’un professionnel de leur choix. On devrait donner au professionnel la possibilité d’installé un atelier capable de recevoir quelques élèves, et puis voilà. »

L’époque de « Jijé » est bien différente de la présente, aussi les risques de censure étaient évidents. Ainsi François  Deneyer nous rapporte (p. 245) un extrait de la lettre que Jean-Michel Charlier adressa à Charles Dupuis (1918-2002), suite aux recommandations reçues, à Paris, au « Bureau de la Presse étrangère » du « Ministère de l’ Information « Pour ce qui est des planches de Jerry Spring,… quelques réserves pour certaines scènes de bagarres et pour quelques cases où figurent des armes en premier plan et, notamment, un couteau à cran d’arrêt, planté dans une guitare (planche N° 10 de « Golden Crek »/1955). »

Si « Hergé » trouva que les premiers dessins de« Jijé » s’inspiraient trop de son « Tintin », ( » ‘Jijé’ stop, il faut arrêter de me copier »), Joseph Gillain lui envoya ses Voeux, avec cette mention manuscrite (p.395) : « Moi j’envoie un vrai dessin, fait main, à l’encre de chine… et en couleur !… et non un vague gribouilli  au crayon … Amicalement. »

Carte de Voeux de « Jijé » à « Hergé » © « Jijé »/François Denayer

De même,« Jijé » lui envoya trois dessins de visages ronds (p. 114), dont l’un avec la coiffe de la « Bécassine » du  dessinateur français Emile Joseph Porphyre Pinchon (1871-1953) et l’autre porteur de la célèbre houppe d’un reporter bruxellois, créé en 1929…

Probablement en réaction à une lettre d’ « Hergé », nous retrouvons (p.114), sur la planche 54 de « Blondin et Cirage au Mexique », un enfant à la tête porteuse d’une même houppe…,« Jijé » s’étant même permis de dessiner  « Tintin »,… en smoking (p. 334), en 1966, au sein de la planche 13 de « Oh Virginie »alors qu’il se trouve à l’arrière d’un Charles de Gaulle (1890-1970) fort bien caricaturé.

Ayant vécu trois années d’études artistiques dans une abbaye, à Maredsous, engagé dans la religion catholiquesa famille comptant deux religieuses et deux prêtreslui-même ayant été acolyte, nous apprenons (p. 98) de Francis Deneyer qu’« en ce début d’année 1956, Joseph entame la réalisation de fresques peintes dans la nef et la voûte de l’église de Corbion. Le travail étant conséquent et nécessitant un système d’échafaudages… »

Au sujet de ses huiles sur toiles et aquarelles, Joseph Gillain déclara (p. 06), en 1976, dans un entretien avec  Francis Groux :« être adversaire de la peinture constipée, triste, cafardeuse, intellectuelle, engagée, porteuse de message. »  Autre déclaration de ce talentueux artiste « Peindre, c’est ma défense à moi. »  Et que dire de ses  gravures. Pour certaines, ne retrouve-t-on pas la force de Constant Permeke (1886-1952).

A la page 98, nous apprenons qu’« en ce début d’année 1956, Joseph entame la réalisation de fresques peintes dans la nef et la voûte de l’église de Corbion. Le travail étant conséquent et nécessitant un système d’échafaudages… »

Fresques peintes dans l’église de Corbion/1956 © Joseph Gillain/François Denayer

A dix-sept ans, c’est le peintre néerlandais Léo Van den Houten (1917-1980) qui lui apprend à dessinersans regarder le papier, méthode qu’il enseignera, à son tour, à de nombreux auteurs de BD… 

N’oublions pas, non plus, le sculpteur qu’était Joseph Gillain, des photos de ses sculptures, dont celle de son fils, Benoît, figurant au sein de ce somptueux ouvrage, « Joseph Gillain, une Vie de Bohème ».

Sculpture de son fils, Benoît © Joseph Gillain/François Denayer
 
Mais ce livre va bien au-delà d’une simple biographie, évoquant même la politique au travers des paroles de Joseph Gillain. Ainsi, en page 184, nous lisons, alors qu’il se rend aux Etats-Unis, le 09 août 1948, un extrait de sa lettre à  Andrée et Hélène Rodric (p. 184) : « La plus profonde impression, c’est de s’enfoncer dans un monde nouveau, où les discussions politiques tombent nettement à l’arrière plan. Je ne regrette pas d’être parti. Je pense que nous allons nous transformer et nous établir sérieusement dans ce monde qui vit réellement… »

… Et François Deneyer de poursuivre :« L’allusion au climat politique belge fait référence aux fréquents changements de gouvernements qu’à connu le pays depuis la Libération… L’artiste qu’est Joseph ne peut tout simplement pas s’épanouir dans un environnement miné par d’interminables mesquineries politiques qu’il abhorre par dessus tout… »  Nous étions en 1948, 72 ans plus tardces mesquineries sont-elles toujours présentesla Belgique est-elle plus stable politiquement parlant ?…

L’appel de la mer pour se rendre, en famille, à New York © Joseph Gillain/François Denayer

Ce qui a changé, c’est plutôt le temps pris pour voyager entre Rotterdam et New York : 7 jours, à bord du « Nieuw Amsterdam »accompagné par son épouse, leurs 4 enfantsAndré Franquin et Maurice de Bevere (« Morris »),… ce qui justifie le titre de ce chapitre : « La grande Traversée »,… une traversée maritime qu’ils prolongèrent par un  séjour au Mexiquelieu d’inspiration pour notre artiste, tant au niveau de la bande dessinée que de la peinture.

Comment expliquer que cet auteurque des spécialistes considèrent comme étant (pratiquement) l’égal d’ « Hergé », soit resté à ce point méconnu par rapport à tant d’autres auteurs ? Francis Deneyer écrit (p. 06) : « Gillain/‘Jijé’ n’a jamais couru après la gloire, ni recherché les honneurs ou les louanges. Il a été, malgré ses immenses qualités artistiques, desservi par les méventes de ses oeuvres, en comparaison avec celles de ses élèves les plus célèbres (André Franquin« Morris »,… /ndlr). Au contraire d’un ‘Hergé’, qui pas hésité à exploiter le talent d’autrui, il n’a pas su faire fructifier sa carrière, se laissant emporter, dans un enthousiasme innocent et parfois naïf, par des projets venant de tous côtés. Son parcours est lié intimement au développement de la bande dessinée belge et française, entre autre par son rôle méconnu dans les revendications portées par Jean-Michel Charlier et René Goscinny pour professionnaliser une activité trop souvent dédaignée. »

Notons néanmoins qu’il reçut, en 1975, le « Prix du Jury Saint-Michel » (assimilé, a posteriori, au « Grand-Prix Saint-Michel »), ainsi que le « Prix Stripschap »principale distinction néerlandaise pour les auteurs de BD. Deux ans plus tard, en 1977, il était le lauréat du « Grand-Prix de la Ville d’Angoulême », alors qu’à titre posthume, en 2013, le magazine « El Wandigo » lui attribua le « Prix Haxtur de la meilleure Histoire courte », pour l‘édition espagnole de la 15è aventure de « Jerry Spring« , « Mon Ami Red » (album original, en françaisédité en 1965).

Mais davantage que ces récompenses méritées, soulignons l’hommage d’André Franquin lui rendit, en 1980, deux mois après son décès, au travers d’une note écrite de sa mainpubliée en page 07 :« Quand nous l’avons connu il avait lutté des années et réussi à faire de la bande dessinée un métier possible. Il nous y a propulsés avec un désintéressement total… Il était accueillant et généreux. Il faisait de la B.D. en rêvant à sa peinture… Son talent était généreux comme lui… Il avait le tempérament trop riche pour s’enfermer longtemps dans une routine à finance… C’est un grand dessinateur. C’est notre grand frère. Il nous aidera encore à mesure que nous comprendrons combien il avait raison, Jijé le généreux. »

De son côté, en quelques lignes, Francis Deneyer évoque, à la fin de son ouvrage (p.  429), les raisons de son attachement à Joseph Gillain :« L’artiste au verbe farceur et moqueur, au regard intuitif et observateur, aux mains débrouillardes et inventives, s’est glissé dans l’histoire de la bande dessinée belge où il se distinguera comme un ‘chef de file’, un  ‘père nourricier’, un faiseur de talents. A la fois très inspiré et adroit, imaginatif et productif, son parcours personnel est intimement lié à une soif de connaissances et une ouverture d’esprit qui l’amènera à lire, à regarder, à voyager. Et ce dont on peut être certain, c’est qu’il a vécu sa vie avec l’enthousiasme de transmettre à autrui  son savoir et ses connaissances dans un esprit de bienveillance désintéressée. Son altruisme n’est en quelque sorte que le reflet de l’humanisme que l’on perçoit dans son oeuvre. Une oeuvre attachante, une carrière mémorable, une vie fascinante. »

En dehors du monde de la B.D., remarquons encore ce qu’« Eddy Mitchell » (Claude MoineParis/1942) – l’une des trois « Vieilles Canailles » de la chanson – déclara : « Joseph était quelqu’un de doux, gentil, énorme, un ours très sympathique. »

Avec humour, pour une « brique » de 448 pages, Francis Deneyer, conclut, au sein de sa page consacrée aux crédits photographiques (p. 432), avec une case agrandie d’une aventure de « Jerry Spring », « Pancho » déclarant : « Bref, on n’a pas appris grand chose… » , le héros créé par« Jijé », lui répondant :« Tu trouves ? »

Après 432 pages de lecture… © « Jijé »/François Denayer

Alors que nous ne pourrons, cette année, vivre Noël comme nous l’aimerions, privés de fêtes familiales, de soirées en groupes d’amis, de cinéma, de théâtre, de restaurants,… , voici une belle idée de cadeau.

Bonne longue lecture !

Pour tout renseignement complémentaire : mail@jijé.org.

Yves Calbert.

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